Chapitre 1 Chapitre 2 Chapitre 3

Chapitre 1
« Alors ce livre ? » « Ça y est, il est arrivé ». J'ai l'impression d'avoir enfin accouché. Sans savoir encore ce que je ressens. Une délivrance, c'est sûr. Il faut dire que les dernières semaines ont été pénibles. Vous savez comment c'est quand tout le monde autour de vous vous pose toujours la même question : « C'est pour quand ? » C'est gentil, notez-bien, mais ça finit par être angoissant. On se demande si on va être à la hauteur.
Jusqu'aux goélands qui s'y sont mis. Je ne plaisante pas. L'autre matin, sur le pas de ma porte, une gouelle. Se dandinant et me bloquant le passage. « Excusez-moi, monsieur Lagouelle. » L'oiseau avait un air plutôt viril. Je n'aurais pas voulu le vexer. « J'aimerais passer. » Mais il ne bouge pas. Pire, il me fixe de son petit œil noir. Et le voici qui m'interroge à son tour. « Toujours rien ? » « Vous voulez parler de mon livre ou plutôt des deux cents exemplaires qui doivent m'être livrés incessamment ? » Il a l'air d'acquiescer. « C'est prévu pour demain. Après-demain au plus tard. » Il se tait. Je me demande si je n'ai pas rêvé. Mais il reprend. « Quelle différence ça fait de sortir un livre toute seule ? » Si, je vous assure, c'est bien la question qu'il m'a posée. Et savez-vous ce que je lui ai répondu ? « Quelle différence y a-t-il entre un goéland et une mouette, à part la taille ? » Il a hoché la tête. M'a tourné le dos avant de s'envoler d'un coup d'aile. J'ai été déçue de ne pas avoir de réponse. Mais je me suis dit que je n'avais encore jamais discuté avec une mouette. En revanche, je l'entends rire souvent.
Ce sont donc deux cents exemplaires qui m'ont été délivrés. Et savez-vous quoi ? Voilà qui ne cessait de m'angoisser. Je me demandais quel espace pouvait bien prendre deux cents livres ? Je n'arrivais pas à me le figurer. Je voulais leur préparer une place, les accueillir comme il se doit, mais où allais-je bien pouvoir les caser ? J'imaginais qu'il y aurait des livres partout, dans le salon, la cuisine, jusque dans la salle de bains. Que j'allais même pouvoir m'en servir comme siège, sinon de table basse. Alors ? Je suis déçue. Deux cents livres tiennent dans sept cartons, six de trente et un de vingt. Sept petits cartons qui ne pèsent pas bien lourd. Qui a parlé du poids des mots ?


Chapitre 2
Vendre son propre livre, c'est spécial, à la fois émouvant, jouissif, mais aussi très angoissant.
Emouvant, en effet, la première fois qu'on vous l'achète en direct. Le premier à se risquer ? Frédéric, mon voisin. Il est entré chez moi, a déposé les 17 euros sur la table, puis il est reparti avec mon roman sous le bras. Et moi, j'étais toute chose. Inquiète, aussi. Si ça n'allait pas ? Si ça ne lui plaisait pas, à Frédéric ? Je n'ai pas prévu de politique d'échange ou de remboursement. Quand on passe par un éditeur, on est tranquille. On peut s'abriter derrière lui. Il est pour vous une sorte de caution. Quant aux lecteurs, on ne les connaît pas, enfin pas forcément. Alors que là, avec le circuit court, on est en relation directe avec le consommateur. Difficile d'échapper. Ainsi quand j'ai rencontré Frédéric, hier dans la rue, j'ai tenté d'abord de me cacher. J'ai pensé m'enfuir. Puis j'ai fait le gros dos. J'espérais qu'il n'avait pas encore lu. Qu'il n'avait pas eu le temps. S'il n'avait pas bien digéré, allait-il se plaindre ? S'en prendre à moi ? Me reprocher de lui avoir fait passer un mauvais moment ? A vrai dire, je le regardais et ne lui trouvais pas vraiment mauvaise mine. Mais cela ne voulait rien dire. J'ai attendu qu'il tire le premier. Et alors ? Eh bien Frédéric avait bien digéré. Très bien même. Frédéric était content de son achat. Frédéric ne voulait en aucun cas être remboursé. Ce qui lui a plu ? Les métaphores. Voilà de quoi m'a parlé, hier matin, sur le trottoir, mon voisin. Je ne vous raconte pas d'histoire, tous les deux, alors que le ciel était bas et que l'avenir semble en ce moment un peu bouché, nous avons débattu de l'intérêt de la métaphore, de son utilité, du plaisir qu'elle procure. Pour finir par nous mettre à métaphoriser tous les deux. Comme s'il ne restait plus que ça à faire. Rien de mieux.
Pour ce moment de poésie pure, improvisé, je me suis dit que, franchement, ça valait le coup. Que faire un livre toute seule, ce n'était pas une mauvaise idée et peut-être même une très bonne.
A suivre...


Chapitre 3
Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ? Tout va bien, en effet. Mieux, je ne sais plus où donner de la tête. Les ventes explosent. Je n'arrive plus à fournir. Non, je plaisante ! Une fois le plein fait avec la famille, les amis proches, les amis d'amis, c'en est fini et les ventes stagnent. Il faudrait dépasser ce premier cercle. Franchir la ligne, la ligne courbe. Voilà qui me fait penser à la ligne éditoriale qui, comme celle du parti, est aussi celle derrière laquelle s'abritent tous les éditeurs. Sans exception !
Franchir la ligne, d'accord, mais comment ? Et chacun, comme dans la fable de La Fontaine, d'y aller de son conseil. As-tu contacté untel ? Il faut que tu animes ta page Facebook et ton site aussi. Tu dois provoquer la surprise, interpeller, faire de l'humour, qu'on te remarque en somme, si tu veux faire le buzz. Le buzz ? Comme le bourdonnement des abeilles à vos oreilles ? Mais, des abeilles, il y en a de moins en moins. Pulvérisées, « pesticidisées ». Moi-même, à la seule idée de trouver des arguments de vente, je ne me sens pas très bien. J'ai beau chercher des idées, ça ne me vient pas. Je ne suis pas douée pour la « com ».
J'ai pu le constater au salon du livre de Granville où j'étais invitée il y a quelques semaines. J'avais, comme voisin de droite, un auteur qui sait faire. Il avait la gouaille d'un vendeur de voiture avec le physique d'Eddy Constantine. Succès assuré ! Les femmes surtout se pressaient autour de lui. Tandis que moi et mon voisin de gauche cette fois, nous regardions voler les mouches. Pour finir par nous envoler dans une autre sphère, changer d'espace-temps, en parlant de musique. Je ne l'ai pas regretté. Mon voisin mélomane, et par ailleurs auteur de livres de cuisine, a ainsi lâché un nom, deux plus exactement : César Franck et panis angelicus, le pain des anges. Un air qu'il s'est mis à fredonner.
Alors, bien sûr, je n'ai pas beaucoup signé. Pas beaucoup vendu. Au moment de toucher mon chèque avant de partir, j'ai aperçu le montant de celui du sosie d'Eddy Constantine. Impressionnant ! Ça casse un peu. Mais moi, je suis repartie avec un trésor, avec ce « panis angelicus » dont j'ai trouvé une version chantée par Pavarotti. Que depuis, j'écoute en boucle. Un pain que je vous recommande. A déguster chaque jour et qui, pour un peu, vous rendrait mystique !
A suivre...